françoise renaud, photographies

regarder le monde juste à côté

probablement l’été

De semaine en semaine le soleil était devenu plus virulent. Probablement l’été.
En accord avec le foisonnement de la végétation, la langue de Léonard s’était déliée et ses mains avaient appris à bouger devant lui, découpant l’herbe. Il ne parlait jamais de sa personne, seulement du monde visible autour d’eux, flux de sève et pluies imprévisibles.
Les voilà donc assis à un mètre d’écart tout au plus, simple longueur de bras. Leurs souliers sont couverts de fins éclats de boue. Leurs regards se portent dans la même direction, à savoir le profond du bois, et puis dans les trouées la toile du ciel où naviguent des oiseaux de grand voyage.
La fille est de plus en plus belle. Cheveux épais, cou de neige.
Elle ne s’ennuie jamais avec Léonard bien qu’elle le trouve un peu étrange. Pour cela qu’elle évite de poser des questions et de se découvrir. Pas même les bras, cheveux libres dissimulant la nuque. Évidemment je n’ai pas de preuve de ce qu’ils se disaient ou pensaient l’un de l’autre, mais ces rencontres avaient eu lieu dans la clairière ou ailleurs. Quantité d’indices le clamaient à qui s’intéressait de loin à Léonard. Son dos s’était redressé, sa tenue se faisait plus soignée.

Au fait était-ce encore l’été ? Des feuilles mortes couvraient l’herbe. Encore quelques semaines et ce serait l’hiver.

Les oiseaux s’étaient regroupés pour migrer, on n’en voyait presque plus dans les jardins, et les fréquentes averses faisaient macérer la matière végétale dans les caniveaux et les fossés pour la transformer en humus. En dépit du mauvais temps, Léonard était capable de passer la journée sur le banc, manteau croisé par devant. Car ça n’était rien pour lui une journée, une pauvre journée d’hiver, un dimanche à attendre. Il songeait à ce jour où ils se toucheraient la main, oh sans penser à mal, rien que pour sentir les frissons ondulant sous la peau. S’il venait justement à pleuvoir, ils seraient en mesure de faire front en déployant l’imperméable au-dessus de leurs têtes, l’étayant au besoin de quelques branches. Et si la pluie devait prendre un tour inquiétant, ils pourraient se serrer davantage et replier les jambes sous la toile, histoire de tenir jusqu’au retour du soleil ou des étoiles. Forcément ils se retrouveraient agrippés l’un à l’autre, engourdis.
N’était-ce pas là son espérance ? Rien qu’un chaste endormissement, doigts noués, tête versée jusqu’à épouser le cou de l’autre, que ce fût l’hiver ou le printemps.

Extrait du roman L’homme d’en face, roman, ©FR 2001

Peinture de Frédéric Plumerand, 2010 (huile sur toile)

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3 Commentaires

  1. miège 25 août 2011

    c’est un nouveau roman en cours ? quel courage d’envisager la fin de l’été! il m’est impossible d’imaginer ne serait-ce qu’un répit dans cette chaleur! la pluie ? est-ce que cela existe encore ?

  2. françoise renaud 25 août 2011 — Auteur d'un article

    Ce roman est paru en 2001… et je trouve intéressant de publier de petits fragments qui peuvent stimuler l’envie de le découvrir à nouveau et réunir de nouveaux lecteurs

    voir sa fiche sur
    http://www.francoiserenaud.com/blog/bibliographie/lhomme-den-face/

  3. Sabaudia 25 août 2011

    Oui, envie de le découvrir (un des rares que je n’ai pas encore…)

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